Cour d'appel de Toulouse, du 7 septembre 2004
- Detalles
- Categoría: Jurisprudencia Derecho Francés, Transfronterizo
- Fuente: www.legifrance.gouv
L'état de bigamie constitue une cause de nullité absolue du second mariage dont les époux ne peuvent renoncer à se prévaloir. Par conséquent, l'époux au préjudice duquel a été contracté un second mariage peut en demander la nullité sans avoir à justifier d'un intérêt en vertu de l'article 184 du code civil. La situation ne peut être régularisée a posteriori puisque le second mariage est nul dès son origine.En l'absence de décision prononçant l'annulation du second mariage, son caractère putatif peut être reconnu si l'un au moins des époux est de bonne foi. La bonne foi est le fait pour l'un des conjoints ou pour tous les deux d'ignorer l'empêchement qui s'opposait à la célébration d'un mariage valable. Or, la dissimulation d'un précédent mariage révè
Références
Cour d'appel de Toulouse
Audience publique du mardi 7 septembre 2004
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
07/09/2004 ARRÊT N°834 N° RG: 03/03841 NG/DB Décision déférée du 04 Juillet 2003 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE ( 200203989) Mme X...
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ère Chambre Section 2
***
ARRÊT DU SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE QUATRE
*** APPELANT(E/S) Madame Y... épouse Z... représentée par la SCP BOYER LESCAT MERLE, avoués à la Cour assistée de Me Xavier CARCY, avocat au barreau de TOULOUSE INTIME(E/S) Monsieur Z... représenté par la SCP MALET, avoués à la Cour assisté de Me Georges DAUBONNE, avocat au barreau de TOULOUSE Monsieur le Procureur de la République COMPOSITION DE LA COUR En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Juin 2004, en chambre du conseil, devant A... BOUTTE, Président, chargé d'instruire l'affaire, les avocats ne s'y étant pas opposés. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
A... BOUTTE, président C. FOURNIEL, conseiller J.C. BARDOUT, conseiller Greffier, lors des débats : S. REINETTE MINISTERE PUBLIC : Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée. Représenté lors des débats par J.J. IGNACIO, qui a fait connaître son avis.
ARRET : - CONTRADICTOIRE - prononcé publiquement par A... BOUTTE - signé par A... BOUTTE, président, et par S. REINETTE, greffier présent lors du prononcé.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES:
Lucien Z... et Y... se sont mariés le 15 juillet 1976 à Toulouse, sans
contrat préalable.
Or, à cette date et bien qu'un jugement du tribunal d'Alicante ait prononcé leur séparation, Y... est toujours unie à Monsieur A... qu'elle a épousé le 22 mai 1961.
Y... cette époque, le divorce est impossible en Espagne.
Il ne sera prononcé que le 30 avril 1996.
Le 15 septembre 1997, Monsieur Z... a présenté une requête en divorce soumise à l'acceptation de l'autre partie, dont la caducité a été constatée.
Le 12 février 1998, il a présenté une requête en divorce pour faute en invoquant divers griefs.
Un peu plus tard, il a invoqué la nullité de son mariage pour cause de bigamie, sur le fondement de l'article 147 du code civil.
Le 26 juin 2000, le Juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de Toulouse s'est déclaré incompétent sur la demande de nullité du mariage, la bigamie étant une cause de nullité absolue du mariage relevant de la compétence exclusive du Tribunal de Grande Instance et a débouté Monsieur Z... de sa demande en divorce, tout en statuant sur les conséquences financières de cette double décision.
Sur appel de Monsieur Z..., la Cour a, par arrêt du 15 novembre 2001, constaté que si le Juge aux Affaires Familiales avait eu raison de se déclarer incompétent pour statuer sur la demande en nullité de mariage, il devait néanmoins désigner la juridiction compétente, en l'espèce le Tribunal de Grande Instance, et ne pouvait pas, implicitement, statuer sur la demande en divorce tant que le problème de la validité ou de la nullité du mariage n'était pas tranché.
C'est ainsi que la Cour a :
- renvoyé au Tribunal de Grande Instance de Toulouse l'examen de la demande de nullité du mariage,
- sursis à statuer sur la demande en divorce jusqu'à ce qu'il ait été
décidé, définitivement, sur le problème de la validité du mariage.
Par jugement en date du 4 juillet 2003, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse prononçait la nullité du mariage contracté le 15 juillet 1976 par Madame Y... et Monsieur Z... et, concluant à leur mauvaise foi respective, faisant produire à la nullité tous ses effets.
Madame Y... a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Elle fait tout d'abord observer que Monsieur Z... n'a pas qualité pour solliciter l'annulation du mariage célébré le 15 juillet 1976 entre les parties dès lors qu'il ne peut justifier d'un intérêt "moral" à invoquer la bigamie comme nullité du mariage, alors qu'il s'est livré lui-même à des manoeuvres frauduleuses permettant l'existence de cette bigamie.
Au surplus, elle soutient qu'il a pour le moins implicitement renoncé à se prévaloir d'une telle nullité du mariage, qu'il connaissait pourtant depuis l'origine, en sollicitant le divorce à deux reprises. Elle ajoute que le Ministère Public, qui invoque aujourd'hui cette nullité, n'a pas cru devoir le faire pendant 25 ans et, force est de constater que la prétendue cause de nullité du mariage a doublement disparu depuis longtemps :
- par le prononcé effectif, le 30 avril 1996, du divorce d'entre Madame Y... et Monsieur A...
- ensuite par le décès de ce dernier.
Pour le cas où la Cour confirmerait néanmoins la nullité du mariage, l'appelante demande à bénéficier à son seul profit de la putativité du mariage en soutenant qu'elle était seule de bonne foi.
Dans tous les cas, en raison des manoeuvres frauduleuses dont Monsieur Z... s'est rendu coupable et qui sont à l'origine de la situation préjudiciable dans laquelle elle se trouve actuellement, elle sollicite, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, la
condamnation de Monsieur Z... à lui payer :
- dommages et intérêts pour préjudice moral ........... 40.000,00 ä
- pension alimentaire indexée comme d'usage en pareille matière, en compensation de la perte du devoir de secours, par mois...... 1.250,00 ä
- prise en charge gratuite pour la concluante de la couverture obligatoire "assurance maladie" et d'une couverture facultative à 100% du même risque maladie, au profit de Madame Y..., à titre viager
- article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile......4.000,00 ä
Elle demande en outre qu'il soit dit qu'il y aura lieu au partage du régime matrimonial ayant existé entre les époux et qu'il y sera procédé comme en matière de divorce.
Monsieur Z... conclut à la confirmation du jugement entrepris.
Il précise que le mariage des parties ne saurait être déclaré putatif dès lors que celles-ci savaient que le mariage contracté en France était, en l'espèce, interdit tant par la loi française que par la loi espagnole.
Il ajoute qu'il est impossible de régulariser a postériori la situation, raison pour laquelle le divorce qui a eu lieu le 30 avril 1996 entre Madame Y... et Monsieur A... ainsi que le décès de ce dernier n'ont produit aucun effet sur la nullité du second mariage, ce dernier étant nul dès l'origine.
Sur la putativité du mariage, il rappelle que celle-ci suppose la bonne foi des époux ou de l'un d'eux.
En l'espèce, les époux savaient pertinemment que leur mariage en France ne succédait ni à un jugement de divorce de l'épouse en Espagne, ni à une procédure d'annulation de son mariage en Espagne, ni à une décision d'exequatur de la procédure de séparation de corps qui aurait dû être suivie d'une procédure de conversion de séparation de corps en divorce.
D'autre part, comme l'ont souligné les premiers juges l'épouse a participé ainsi que son conjoint à la préparation du dossier de mariage, lequel contenait de faux renseignements.
L'intimé conclut également, en raison de la parfaite mauvaise foi de Madame Y..., au rejet de l'ensemble des demandes formées par cette dernière.
Il précise qu'en réalité le prétendu mariage entre lui-même et Madame Y... n'était, de la part de cette dernière qu'une manoeuvre destinée à assurer sa situation financière, Madame Y... étant mariée à un prétendu industriel qui, en fait, n'a jamais cotisé à quelque organisme de retraite que ce soit et qui n'avait en réalité aucune activité, et pour parvenir à entretenir son fils jusqu'à des études supérieures, longues et coûteuses.
Il sollicite enfin la condamnation de Madame Y... à lui verser les sommes suivantes :
- 5 000 ä pour appel dilatoire et abusif
- 5 000 ä au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le Ministère Public conclut à la confirmation du jugement entrepris s'agissant de la nullité du mariage litigieux et laisse le caractère putatif dudit mariage à l'appréciation de la Cour.
DISCUSSION :
I) Sur la nullité du mariage
Les premiers juges ont exactement analysé et apprécié les éléments de la cause. Dès lors la Cour, adoptant les motifs du jugement entrepris, confirme celui-ci en ce qu'il a prononcé la nullité du mariage des époux B..., sauf à préciser, pour répondre à l'argumentation développée à hauteur de Cour, que : - Monsieur Z... a, au sens de l'article 184 du Code Civil, qualité pour solliciter la nullité du mariage dont s'agit, sans même avoir à justifier d'un
intérêt. - l'état de bigamie constitue une cause de nullité absolue du second mariage à laquelle Monsieur Z... ne pouvait, même implicitement, avoir renoncé à se prévaloir. - par ailleurs, il est impossible de régulariser a posteriori la situation, c'est pourquoi, le divorce qui a eu lieu le 30 avril 1996 entre Madame Y... et Monsieur A... ainsi que le décès de ce dernier n'ont produit aucun effet sur la nullité du second mariage, ce dernier étant nul dès l'origine.
II) Sur la putativité du mariage
Là encore les premiers juges ont fait une exacte appréciation des éléments de la cause, sauf à ajouter que : - la bonne foi est le fait pour l'un des conjoints ou pour tous les deux, d'ignorer l'empêchement qui s'opposait à la célébration d'un mariage valable.
Elle est la juste opinion que ce qu'on a fait, on avait le droit de le faire.
Ainsi, il y aura mauvaise foi pour la dissimulation d'un précédent mariage. - en l'espèce, non seulement Monsieur Z... a produit de fausses pièces pour pouvoir contracter mariage mais en outre il a agi en connaissance de la loi française - les époux savaient pertinemment que leur mariage en France ne succédait ni à un jugement de divorce de l'épouse en Espagne, ni à une procédure d'annulation de son mariage en Espagne, ni à une décision d'exéquatur de la procédure de séparation de corps qui aurait dû être suivie d'une procédure de conversion de séparation de corps en divorce. - Madame Y... le savait d'autant mieux que, pendant son mariage avec Monsieur Z..., elle a poursuivi la procédure de divorce d'avec Monsieur A... qui a abouti le 30 avril 1996. - en ce qui concerne la feuille de renseignements remise à la mairie de Toulouse, qu'elle a signée et qui mentionne sa situation de célibataire, Y... prétend que l'intimé la lui aurait envoyé à signer en Espagne en blanc. Elle n'en rapporte toutefois pas la
preuve. - sur le certificat de vie et d'état délivré le 14 juin 1976 par le bureau de l'état civil d'Alicante, il est également mentionné que l'intéressée est célibataire.
Or, l'appelante ne peut contester s'être procurée elle-même l'attestation de la mairie d'Alicante puisque, c'est au minimum sur la déclaration assermentée de l'intéressée ou éventuellement avec en outre deux témoignages que les attestations d'état et de vie peuvent être délivrées.
Ce document ne pouvait être remis par le bureau de l'état civil d'Alicante qu'à l'intéressée et non pas à une tierce personne.
Il ne saurait donc être soutenu que Monsieur Z... se serait procuré directement ce document. - enfin, la culture de l'appelante aurait dû l'inciter à ne pas se remarier. Elle ne pouvait penser, comme elle le soutient, que sa séparation de corps d'avec Monsieur A... aurait pu être, en France, converti en divorce sans même qu'elle soit présente ou intervienne à la procédure.
C'est dès lors à bon que les premiers juges ont considéré que la bonne foi de l'appelante ne pouvait être retenue.
III) Sur les demandes de l'appelante
En raison de sa mauvaise foi, celle-ci a été, à bon droit, déboutée de l'ensemble de ses demandes.
IV) Sur le caractère abusif et dilatoire de l'appel
L'intimé ne rapporte nullement la preuve du caractère abusif et dilatoire de l'appel diligenté par son épouse. Il sera dès lors débouté de sa demande de dommages et intérêts.
V) Sur les frais et dépens
V) Sur les frais et dépens
Chaque partie étant de mauvaise foi, au sens de l'article 201 du Code Civil, supportera la charge des frais et dépens par elle exposés devant la Cour.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Déclare l'appel recevable en la forme mais le dit mal fondé.
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
Ordonne sa transcription en marge des actes d'état civil, l'épouse étant née à Cartagène (Espagne) le 3 août 1935 et le mari à Rions (33) le 13 mai 1934, l'acte de naissance de l'épouse étant tenu par le service central d'état civil de Nantes.
Y ajoutant, déboute Monsieur Z... de sa demande de dommages et intérêts pour appel dilatoire et abusif.
Déboute les parties de leurs demandes en paiement sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dit que chaque partie conservera la charge des frais et dépens par elle exposés devant la Cour.
Le présent arrêt a été signé par monsieur BOUTTÉ, président et par madame REINETTE, greffier présent lors du prononcé. LE GREFFIER
LE PRESIDENT S. REINETTE
A... BOUTTÉ
Analyse
Titrages et résumés : MARIAGE
L'état de bigamie constitue une cause de nullité absolue du second mariage dont les époux ne peuvent renoncer à se prévaloir. Par conséquent, l'époux au préjudice duquel a été contracté un second mariage peut en demander la nullité sans avoir à justifier d'un intérêt en vertu de l'article 184 du code civil. La situation ne peut être régularisée a posteriori puisque le second mariage est nul dès son origine.En l'absence de décision prononçant l'annulation du second mariage, son caractère putatif peut être reconnu si l'un au moins des époux est de bonne foi. La bonne foi est le fait pour l'un des conjoints ou pour tous les deux d'ignorer l'empêchement qui s'opposait à la célébration d'un mariage valable. Or, la dissimulation d'un précédent mariage révèle la mauvaise foi.En l'espèce, les époux savaient pertinemment que le premier mariage de l'épouse n'était pas dissout puisqu'ils ont tous deux participé à la préparation du dossier de mariage qui contenait de faux renseignements déclarant que l'épouse était célibataire. D'ailleurs, l'épouse a poursuivi la procédure de divorce pendant son second mariage. Or la culture de l'épouse aurait dû l'inciter à ne pas se remarier.